Cette page est là pour rendre hommage à mon grand-père maternel. J'ai découvert son parcours pendant la Seconde Guerre Mondiale grâce aux archives. Une histoire qui nous montre une fois de plus que ces héros de l'ombre méritent notre respect non seulement par leur action en ces temps troubles mais aussi par leur capacité à avoir su tourner cette page pour transmettre la capacité de vivre normalement après cette période d'horreurs.

Mon grand-père, cet inconnu...

L'histoire locale est une de mes passions et j'ai longtemps partagé mes documents et savoirs sur un site internet. Il parle d'Aubusson, de la première guerre ... j'ai toujours considéré recevoir comme une sorte d'appel de ces soldats à réhabiliter mais je pense aujourd'hui que la voix était plus intérieure, plus proche et que je me trompais d'une guerre.
Au détour de recherches sur les soldats creusois, je me plonge dans les fichiers de résistants que l'on retrouve en ligne sur le site du Service Historique de la Défense.
Je fais une vérification systématique, nom, lieu de naissance ... et je tombe en arrêt devant un nom bien connu : celui de mon grand-père !
Mon grand-père maternel est décédé quelques mois avant que je naisse. Il savait que j'étais en route et j'ai souvent entendu qu'il avait dit que "je le remplacerais sur Terre". Je n'ai jamais vraiment pris cela comme une charge mais juste comme une continuité dont j'ai eu tôt conscience.
Je porte dans mon prénom, l'inverse du sien : Léon TARTARY est né le 14.08.1907 à Saint-Pardoux-les-Cards (Creuse France). Je n'ai presque aucune information sur lui, pas de photographie, juste l'image transmise d'un homme discret, et là, après vérification de sa date de naissance, je le découvrais homologué "Forces Françaises Combattantes (FFC)" sous le dossier administratif de résistant n° GR 16 P 562552.
Les réseaux F.F.C. étaient composés d'hommes et de femmes qui s'engageaient volontairement et qui savaient ce qu'ils risquaient. Ils devaient combattre dans l'ombre craignant à chaque instant l'arrestation, ce que l'histoire de ces réseaux a si souvent confirmé. Ces réseaux, organisations créées en vue d'un travail militaire précis (renseignement, sabotage, évasion de prisonniers de guerre et de pilotes tombés chez l'ennemi), étaient encore plus secrets et moins étoffés que les Mouvements de Résistance. Ils étaient chargés de tâches précises émanant des Centrales, elles-mêmes sous les ordres des États-Majors de Londres.


Récupérer ce dossier devenait vite une obsession mais loin de Vincennes, cela ne paraisait pas si simple : la consultation se fait sur place. Je trouve un fichier stipulant qu'il est possible de demander communication de dossier à distance mais que c'est une prestation onéreuse soumise à devis et paiement préalable. J'envoie ma demande de devis tout en continuant à chercher d'autres informations.

Un courrier étonnant

Deux mois après, je reçois un courrier dont l'enveloppe est marqué du SHD. Je me prépare à lire une réponse à ma demande et, nouvelle surprise, le courrier note qu'à "titre exceptionnel et gratuit", le SHD m'envoie les éléments du dossier. Qu'avait donc fait ce grand-père pour mériter un traitement de faveur ?
Premier élément du dossier : Son attestation d’appartenance aux Forces Françaises Combattantes.


J'avais donc confirmation de cette toute petite ligne sur un fichier global. Cette attestation porte le n°91.437, les nom, prénom, adresse et date de naissance de Léon. Elle date du 12 juillet 1951 et stipule qu’il a servi en qualité d’Agent P.1 au réseau MARCO POLO du 1.11.1942 au 31.09.1944.
Les agents P.1 avaient une activité continue sous couvert d'une occupation personnelle qui leur servait de "couverture". Cela expliquerait que Léon soit resté à Saint Pardoux pendant la guerre, même si ma mère disait qu'il partait parfois faire le "chauffeur de maître" à Paris. Ces mots, au sens premier pour elle, prennent un sens tout particulier face aux documents retrouvés.
La date du 30 septembre 1944 coïncide avec la date d'arrêt officielle des réseaux de résistance.
L'histoire du réseau MARCO POLO donne Novembre 1942 comme date de création du réseau et c'est la date où mon grand-père parait entrer dans la résistance. Est-ce une coïncidence ? Etait-il au départ de ce réseau ? C'est une des nombreuses questions que pose cette histoire.


Extrait du Rapport d'André Pellet, un des chefs du Réseau Marco Polo

D'autres pièces au dossier

Que Léon ait fait partie du réseau Marco Polo était en soi un étonnement mais le dossier comportait d'autres pièces. D'abord une petite fiche dossier marquée Dossier n°39428 avec toujours les identifiants de Léon, la citation du réseau Marco Polo mais avec un ajout : celui de Marceau. J'ai d'abord pris cela pour son nom de guerre.


Puis une fiche d'identification, remplie au crayon, avec les mêmes informations, sauf que cette fois Marco Polo parait effacé et remplacé par Marceau en face de Réseau.


Enfin un courrier daté du 29 Avril 1947, adressé à Léon, avec la mention Marceau une fois de plus, portant en exergue la mention "Pour servir aux F.F.L."( Forces Françaises Libres)


En fait, le réseau Marceau est bien un second réseau de Résistance. On en trouve trace aux Archives Nationales sur deux documents : Témoignage du docteur Briault, recueilli par Louis Lecorvaisier et Note de Louis Lecorvaisier sur Alfred et Émilie Balachowsky. Le premier document cite le Colonel Josset qui a envoyé le courrier de Léon. Le second document montre que des contacts entre les Réseaux Marco Polo et Marceau existaient au moins par une personne. On trouve aussi citation d'un groupe Marceau comme étant un groupe action de Nemours dans le Livre de R.C. Plancke "La Seine-et-Marne, 1939-1945 (3) : De la résistance à la victoire" (Extrait ici).
Marceau, pour le situer, était rien de moins que le réseau qui renseignait sur l'avancée de travaux sur les V1 et V2.
Léon a-t-il pu travailler à la fois pour ces deux éminents réseaux ? Une nouvelle question s'ajoute à un parcours qui paraît à la fois dense et de plus en plus inextricable.

Après contact par mail avec le site "Creuse Résistance", je reçois des retours d'historiens locaux : Guy Avizou et Christian Penot, ces éminents spécialistes de cette période en Creuse n'ont d'informations ni sur Léon, ni sur un contact avec le réseau Marco Polo en Creuse. Cette page ajoutera donc Léon Tartary à l'histoire de la résistance creusoise même si son terrain de renseignements n'étaient sûrement pas la Creuse.

Sa fiche matricule

Au cours des recherches, j'étais passé aux Archives départementales de la Creuse. Ils m'avaient conseillé de leur envoyer une demande et qu'ils feraient des recherches. J'ai envoyé par mail les références de dossier et informations personnelles de Léon et j'ai rapidement reçu sa fiche matricule.


Une nouvelle fois, j'avais confirmation de son appartenance aux FFC puisque cette fiche donne son parcours militaire et reprend les éléments du dossier du SHD.


Sur cette fiche matricule, on trouve aussi des éléments qui pourraient expliquer ses liens avec le réseau Marco Polo, seul cité cette fois. Dans un premier temps, on le découvre Ouvrier d'Artillerie d'abord au 22e Bataillon puis au 13e Bataillon.
Il est un temps domicilié à Houilles où il est ajusteur d'aviation. Sans certitude, la proximité de Houilles et des usines d'aviation Dassault pourraient donner à croire que Léon travaillait chez celui qui était alors Marcel Bloch et pas encore Marcel Dassault connu pour son refus de la collaboration.


Enfin, le 6 septembre 1939, alors que la guerre est déclarée depuis le 1er, il est mobilisé à la 101e compagnie d'ouvriers de renforcement de la Manufacture d'Armes de Tulle.


Pour découvrir l'Historique de la Manufacture d'Armes de Tulle et ses liens avec la Résistance, vous pouvez télécharger ce fichier PDF.

Mise à jour du 14.05.2018

Après contact avec l'Office National des Anciens Combattants section Creuse, on me signale que son dossier dit qu'il était "membre d'un réseau de sabotage et chargé d'un centre d'accueil". L'ONAC m'a envoyé divers documents visiblement confidentiels. Tous confirment les informations préalables. On y apprend de plus que Léon est Forces Françaises de l'Interieur du 25 mai au 25 Octobre 1944 et que l'échelon liquidateur du réseau Marco Polo lui donne la médaille commémorative française de la guerre 39-45 avec les barrettes FRANCE et LIBERATION (« France » pour les opérations entre le 3 septembre 1939 et le 25 juin 1940 et « Libération » pour les opérations de la Campagne de France entre le 25 juin 1940 et le 8 mai 1945)


Médaille avec Barrettes FRANCE et LIBERATION

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Ce parcours de 2 ans dans les F.F.C. du 1er Novembre 1942 au 30 Septembre 1944, s'épaissit. On y ajoute les F.F.I. jusqu'en Octobre 1944. Je m'attendais à le trouver membre de groupe de sabotage mais quel est ce centre d'accueil dont il était chargé ? en Creuse ? Ailleurs ? Comment dérouler un parcours dans les réseaux les plus secrets de la Résistance sur une des périodes les plus troubles de notre histoire, concernant une personne qui n'a jamais confié la moindre information sur cela.
Si vous avez des idées, des pistes, des contacts pour m'aider, merci de m'envoyer un message par ici.

Mise à jour du 12.06.2018

Le Ministère des Armées vient de mettre en ligne, sur Mémoire des Hommes, une base de données qui recense des dossiers individuels établis par différentes administrations chargées à la fin de la Seconde Guerre mondiale d’identifier, d’homologuer ou de reconnaître les services rendus pour faits de résistance. Cette base contient près de 600 000 noms d’individus pour lesquels il existe au moins un, voir plusieurs dossiers conservés au Service historique de la Défense dans les fonds d’archives de trois organismes. Cette base de données permet la recherche et l'on trouve bien la fiche de Léon ici. On peut aussi grâce au moteur de recherche retrouver la liste des agents du réseau MARCO POLO et voir qu'ils n'étaient que 1204 reconnus ce jour sur tout le territoire.